Les histoires de morts-vivants, de personnages de contes ou de familles nobles assoiffées de pouvoir ne vous suffisent pas ? Qu'à cela ne tienne : désormais lancé à pleine allure sur les rails du récit interactif, Telltale vous invite également à découvrir, sous un angle inédit, l'univers de Borderlands. Violence gratuite et humour à tous les étages garantis.
Les plus menus détails suffisent parfois à vous laisser deviner qu'un jeu va vous plaire. En ce qui me concerne, avec Tales from the Borderlands, c'est en regardant les crédits - oui, j'aime bien regarder les crédits d'un jeu avant de le lancer, à chacun ses habitudes -, rythmés par une musique diaboliquement entraînante*, et en découvrant, au milieu des remerciements, un cocasse "In loving memory of Charlie, the hamster", que j'ai su que j'allais passer un bon moment. Le modeste crossover entre les univers de Telltaleet Gearbox qui avait jusqu'à présent vu le jour - l'apparition du robot Claptrap dans le jeu Poker Night 2 - promettait de prendre, ici, une nouvelle ampleur...
Le dandy et l'escroc
Désireux de s'adresser non seulement aux fans de la licence mais aussi, évidemment, au plus grand nombre, Telltale et Gearbox ont eu l'intelligence de résumer l'essentiel de ce qu'il est bon de savoir sur Borderlands en quelques minutes, en situant l'action après les épisodes existants, et en rappelant que Pandora est une planète riche d'artefacts que des aventuriers en tous genres rêvent de posséder. Hop, voilà, emballé c'est pesé. Bien sûr, on retrouve de nombreux éléments qui font la richesse et la singularité de ce monde, avec notamment Hyperion, la méga entreprise manufacturière d'armes, dont vous incarnez ici l'un des employés déçus, l'inénarrable Rhys, qui, confronté à son imbuvable patron, Vasquez (doublé par Patrick Warburton, la voix de Joe dans Family Guy ; soulignons à cet égard que le doublage en anglais, comme toujours, s'avère d'une excellente qualité globale), décide de lui faire payer ses humiliations en lui volant un "deal". L'occasion de croiser le chemin de la seconde figure phare du jeu, Fiona, une jeune femme de 29 ans au regard vert assassin qui a fait de l'escroquerie son passe-temps favori. Un couple improbable, qui n'évolue pas un instant sur le fil de la romance (en tout cas dans cet épisode), et renvoie Telltale à ses premières amours : l'humour et la comédie. Bien entendu, tout l'intérêt d'un jeu/film comme celui-là étant de le découvrir soi-même, nous n'en dirons pas davantage...
Une histoire de gros calibres
Question habillage, Tales from the Borderlands a eu la bonne idée de savamment intégrer à sa narration une multitude de références à l'univers dont il s'inspire. Une "évidence" qui traduit surtout, en filigrane, l'entente cordiale qui semble avoir régné entre Telltale et Gearbox, qui ont bel et bien travaillé ensemble, et manifestement avec plaisir, sur le projet. L'aspect avancée technologique s'exprime ainsi à plein au travers du personnage de Rhys, symbole presque effrayant du transhumanisme avec son bras artificiel, son trou dans la tempe autorisant diverses connexions et son oeil "Echo" lui permettant d'analyser son environnement, objets ou personnages. Une capacité que le joueur un peu curieux aura tendance à utiliser sans cesse pour profiter de révélations souvent savoureuses... Bien entendu, Borderlands ne serait pas ce qu'il est sans sa propension à sortir tous azimuts du gros calibre. Ainsi, les ennemis ont la gâchette plus que facile, et un passage vous invitant à manipuler un robot (customisé à votre goût) s'autorise une séquence en vue à la première personne, à la manière d'un FPS. Enfin, rappelons que la série, à la base, est tout entière tournée vers la montée en puissance, la découverte d'armes toujours plus efficaces, d'items rares... Une fascination qui tient de l'archéologie belliciste partagée par divers personnages, qui feront montre d'une excitation difficilement contenue à certains moments... à la manière du joueur de Borderlands qui, lorsqu'il découvre une arme particulièrement puissante, ressent un petit rush d'adrénaline. Un effet miroir plutôt bien vu.
Petits défauts, grande personnalité
S'il est vrai que diverses textures se révèlent grossières lors de certains gros plans, ou que quelques animations mériteraient davantage de soin, seuls les gamers incapables de se laisser porter par l'histoire, pourtant irrésistiblement divertissante, y accorderont une quelconque importance. Dans son ensemble, Tales from the Borderlands fait en effet figure de film interactif maîtrisé du début jusqu'à sa toute fin, certes plus si impressionnant graphiquement - Telltale nous a habitués depuis deux ans à son style - mais toujours d'une efficacité redoutable. Le moteur Telltale Tool donne ici le meilleur de lui-même, et c'est toujours un délice de découvrir la subtilité des expressions des visages, le soin du détail apporté à certains décors (le bar du Purple Skag), le rendu en cel shading toujours aussi superbe sur les personnages et environnements en 3D... Surtout, la mise en scène s'autorise, avec une maestria bluffante, les originalités les plus diverses, entre caméra virevoltante, point de vue inédit, tableau fantasmé, action ralentie ou accélérée... les visions entremêlées d'une même scène, en fonction du narrateur, enrichissant de surcroît la compréhension globale du joueur/spectateur. Un récit qui profite d'un sens du rythme parfaitement maîtrisé - c'est rapide, c'est vif, c'est brillant - et enchaîne les dialogues ciselés s'appuyant aussi bien sur le comique de situation que le langage ordurier ("Hyperion will want my dick in a sling"... On attend de voir comment ce genre de formule va être traduit en français).
Sans surprise, c'est encore et toujours en s'appuyant sur l'aspect humain de ses personnages que Telltale donne le meilleur de lui-même. Et non seulement Rhys aussi bien que Fiona se révèlent terriblement attachants, mais leurs antagonismes mêmes alimentent leur relation, le tout sous le regard d'une constellation de personnages secondaires - jusqu'aux ennemis "de base", sur lesquels reposent certaines des situations les plus burlesques et les plus amusantes - qui ont régulièrement droit, eux aussi, à leur petit moment de gloire. Une série plus que prometteuse donc, qui non seulement enrichit un univers que l'on pensait réduit à sa nature première, le First-Person Shooter, mais réussit, par la magie d'un talent insolent, à lui donner une nouvelle dimension.
*Busy Earnin, du groupe anglais Jungle. Et oui, grâce au jeu, les recherches autour de ce morceau ont explosé sur la toile.
Carton plein pour cette nouvelle série signée Telltale inspirée de l'univers de Borderlands. Si le conteur d'histoires californien semble répéter la même recette ad nauseam, force est de constater que sa maîtrise du genre non seulement est réelle, mais qu'elle se bonifie. Le premier épisode qui nous est ici proposé profite en tout cas d'un rythme endiablé, de personnages résolument charismatiques et de répliques brillamment drôles qui vous feront nécessairement pouffer devant votre écran. À moins, bien sûr, que vous ne soyez un robot. Cela dit, dans Borderlands, même les robots ont le sens de l'humour...